Maintenance multitechnique : et si nous rêvions un peu ?

Crise de l’immobilier tertiaire, dérèglement climatique, impératif d’adaptation, hausse des prix des éléments de construction : la maintenance multitechnique ne pourrait-elle pas profiter de cet environnement contraint pour changer de dimension ?

La maintenance multitechnique est née à l’aube des années 90 pour répondre à la complexité et à l’interpénétration des installations techniques équipant les grands ensembles de bureau de la fin du XXème siècle.

Elle a ensuite évolué, au gré des crises et opportunités. Dans les années 2000, elle a emprunté le concept de Facility Management au monde de l’informatique pour présenter une offre aux tenants de « l’entreprise sans usine ». Dix ans plus tard, elle a sauté dans le train de la « Croissance verte », en ajoutant à sa palette déjà étendue, la gestion voire l’optimisation énergétiques.

Mais globalement, le métier n’a guère changé : des interventions systématiques nécessaires (ou pas), mais qui assurent un revenu régulier ; des dépannages et travaux supplémentaires, si possibles nombreux, pour conforter les marges.

Alors que l’immobilier de bureau vit une crise majeure, ne pourrait-on imaginer une maintenance multitechnique plus économe, plus sobre, plus durable, en un mot, plus responsable ?

Briser le plafond de verre de la maintenance prédictive

Alors que la maintenance préventive systématique repose sur des calendriers d’intervention fixes, la maintenance préventive prédictive ou proactive se base sur l’analyse de données collectées en temps réel pour anticiper les pannes. Autrefois ralenti par le coût d’installation et d’utilisation des capteurs, son développement est aujourd’hui rendu possible grâce à l’offre abondante d’objets connectées peu chers, répondant à tous les besoins, autonomes en énergie et communicants.

Toutes les données collectées et passées à la moulinette de l’Intelligence Artificielle (IA), capable d’identifier, en analysant température, vibration et consommation, l’apparition d’un défaut, permettent de réduire de façon drastique le nombre pannes, leurs coûts induits et les coûts d’intervention, dont ceux du transport et du stationnement.

Autre effet bénéfique : empêcher la casse et les remplacements revient à prolonger la durée de vie des équipements. Ce sont autant de ressources primaires économisées et de déchets produits en moins.

Jusqu’à présent, la profession a fait de la résistance et a tué dans l’œuf toutes les initiatives allant vers plus de prédictif. Mais les crises sanitaires telles que celle du COVID ont conduit à totalement arrêter des pans entiers de l’économie et à réduire au strict minimum la maintenance des bâtiments. De nombreux clients ont découvert à cette occasion que l’on pouvait réaliser une maintenance minimale (plans de sauvegarde), sans qu’il y ait nécessairement plus de pannes, démontrant ainsi la fragilité d’un modèle de maintenance actuellement basé sur le tout systématique. Plutôt que d’attendre la prochaine crise qui pourrait être fatale à la profession, peut-être serait-il temps de changer de paradigme ?

Jouer à plein la carte de la digitalisation

La maintenance est surtout un métier de main d’œuvre. Toute perte de temps imprévue sur une intervention se retrouve dans le prix de vente, dans le taux horaire ou sous forme d’aléas.

A l’inverse, prévoir et savoir sont les meilleures façons de réduire les coûts d’exploitation.

S’agissant de prévoir, il existe bien des systèmes de gestion de la maintenance assistée par ordinateur (GMAO). Ce sont des plateformes centrales pour planifier, exécuter et suivre les interventions. Ces outils, généralement en SaaS, offrent une visibilité en temps réel sur l’état de santé des équipements, l’historique des opérations, les travaux de maintenance réalisés et le niveau des stocks. Ces GMAO font presque systématiquement partie de la panoplie d’outils que le mainteneur multitechnique s’engage contractuellement à déployer. Mais combien d’entre elles sont peu ou mal utilisées, quand elles n’ont, pour certaines, jamais été sorties de leurs boîtes ?

S’agissant de savoir, l’utilisation croissante des objets connectés (IoT) permettrait une surveillance continue et précise des installations. Les données collectées par ces dispositifs, faciliteraient des analyses approfondies et des diagnostics précis. Le technicien d’intervention saurait, avant de se déplacer sur site, quoi faire, avec quels outils et quelles pièces de rechange.

En allant plus loin, on pourrait généraliser l’usage de la réalité augmentée (RA) et de la réalité virtuelle (RV) qui viennent enrichir les compétences des techniciens. En portant des casques de RA, les agents pourraient visualiser des plans techniques directement superposés sur les équipements ou être guidés à distance par des experts, ce qui réduirait les délais d’intervention, la rapidité d’exécution et le risque d’erreurs.

S’engager à préserver les ressources

Le cadre réglementaire français évolue pour accompagner les ambitions écologiques et énergétiques du pays. La loi sur la transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) ou encore le décret tertiaire imposent des objectifs ambitieux en matière de réduction de la consommation d’énergie dans les bâtiments.

Or, de trop nombreux contrats de maintenance multitechnique se résument à imposer la réalisation d’une liste de tâche, à une fréquence donnée. Dans tout le texte contractuel entourant ces chiffres apparaît bien ici et là un engagement du mainteneur à faire ses meilleurs efforts pour optimiser les consommations énergétiques des équipements qu’il maintient. Mais encore faut-il qu’il ait les outils de mesure, la compétence et le temps (cette prestation a-t-elle vraiment été valorisée ?) pour le faire.

Pour l’y aider, le législateur impose, avec le décret BACS, la mise en place de systèmes de suivi et de pilotage des installations couramment appelés « Gestion Technique du Bâtiment » (GTB).

Même si cette obligation n’est pas soumise à sanctions, le mainteneur multitechnique aurait tout intérêt à saisir cette opportunité d’obligation faite à ses clients pour proposer des contrats sur la base d’un engagement d’optimisation des consommations énergétiques et des puissances appelées, de prolongation de la durée de vie et de réemploi des équipements ainsi que de réduction des émissions de gaz à effet de serre.

Ce contrat s’appuierait sur le principe du Contrat de Performance Energétique de service, c’est-à-dire un CPE d’exploitation, sans fourniture d’énergie, par lequel le mainteneur s’engage à garantir un certain niveau d’efficacité énergétique, sous peine de pénalités financières.

Développer le réemploi

De nombreux parallèles peuvent se faire entre la maintenance automobile et la maintenance mutitechnique. Les premières normes de maintenance sont d’ailleurs issues du monde automobile.

Or aujourd’hui, un réparateur automobile a obligation de proposer des pièces de rechange de réemploi en même temps que du neuf.

En attendant que cette démarche de bon sens soit adoptée par le législateur, et en complément de la loi AGEC déjà existante, les mainteneurs multitechniques, s’ils veulent prendre un peu d’avance par rapport à la réglementation et surtout être à l’heure de l’urgence climatique, auraient tout intérêt à faire de même.

Dès l’instant où un étrier de frein équipant une très grosse cylindrée peut être vendu d’occasion sans problème, on imagine que seuls très peu de composants équipant les systèmes d’un bâtiment tertiaire ne puissent être de seconde main.

Réutiliser, c’est à nouveau réduire le gaspillage, le temps, les déchets et les ressources primaires.

Rêve ou réalité ?

Parmi les nombreuses actions d’amélioration décrites ci-dessus, certaines sont déjà déployées sur quelques rares bâtiments par quelques mainteneurs pionniers. Qu’ils en soient félicités.

Mais dans la réalité, la majorité des prestataires en ignore jusque l’existence. Car le métier de maintenance multitechnique n’a pas besoin d’innovation pour durer, à l’inverse de n’importe quel produit marchand. Tant qu’il y aura des bâtiments, il y aura des installations techniques et des pannes. Et tant que rien ne sera fait véritablement pour les éviter, la maintenance perdurera.

Le seul élément exogène qui a obligé les entreprises de maintenance à se verdir, et cela ne concerne que les sociétés cotées, est la pression verte de leurs actionnaires eux-mêmes soumis aux exigences de reporting responsable.

Ce n’est donc pas auprès des mainteneurs qu’il faut attendre un sursaut, mais bien de leurs clients. A eux d’exiger de leurs prestataires des offres responsables, durables et frugales. A eux de ne plus systématiser le moins disant économique qui, sur la durée, finit souvent par revenir le plus cher.

Et maintenant que la première bataille lancée en 1997 à Kyoto contre la réduction des émissions de gaz à effet de serre a été perdue, il ne reste plus que l’adaptation pour sauver une activité immobilière qui, elle aussi, doit se réinventer.